Les styles iconographiques présents dans le Wadi
Dans le cas égyptien, et ce n’est pas la règle dans tout le Sahara loin s’en faut, les styles iconographiques que l’on peut identifier pour l’art rupestre peuvent être corrélés à des phases culturelles bien situées chronologiquement. On en reconnaît sept dans la concession Est, la phase Paléolithique supérieur présente dans la concession Ouest restant confinée aux abords de la vallée.
- Les gravures épipaléolithiques sont les plus anciennes. Très profondes, martelées, elles sont complètement patinées. Elles sont situées chronologiquement entre – 11 000 et - 8 000 B.P. et correspondent à la culture de l’Elkabien (HUYGE 2009). Elles se caractérisent par des motifs géométriques, dont certains, en forme de champignons, seraient des représentations de nasses utilisées pour la pêche (HUYGE 1998). Ces motifs, bien connus sur le site d’el-Hosh, à quelques dizaines de kilomètres du wadi Abu Subeira, sur la rive occidentale, n’apparaissent pas dans le wadi. En revanche, on reconnaît des représentations de motifs géométriques complexes, de crocodile ou de lézard et certaines figurations qui semblent être des hybrides entre être humain et coléoptère. Soixante-sept stations comportent des gravures attribuées à l’Epipaléolithique dans la concession orientale.
- Les gravures badariennes relèvent de cette première culture néolithique de la Haute Egypte. Elle correspond au Vème millénaire. La culture badarienne, surtout connue par ses nécropoles est productrice d’images, sous forme de statuettes en terre et de gravures sur des vases par exemple. Les gravures attribuées à cette phase sont très patinées, profondes et utilisent aussi bien le piquetage que l’incision. Elles représentent majoritairement des animaux sauvages, en particulier des girafes, mais on recense aussi deux scènes de chasse à l’éléphant. Les représentations humaines sont très rares dans l’art rupestre. Quarante-six stations de la concession orientale comprennent des gravures de cette période.
- Les gravures de la période nagadienne représentent à elles seules 60% du corpus dans la concession orientale du WAS. Elles se rattachent à la culture dite de Nagada, qui avec ses différentes phases, s’étend de 3 900 à 2 670 av. J.-C. Outre le fait de reposer sur une économie de production, avec des agriculteurs-éleveurs de bétail organisés en petites communautés villageoises, la culture nagadienne se caractérise par son fort investissement dans les pratiques funéraires et par une progressive hiérarchisation de la société. Son habitat est très mal connu, faute de fouilles conséquentes. Davantage que l’économie de subsistance, la structuration et la hiérarchisation croissante de la société ont fortement influencé l’iconographie, par ailleurs très riche et très variée (GRAFF 2013), de cette période. L’intérêt pour le devenir post-mortem, qui justifie le fort investissement dans la construction des structures funéraires et l’abondant matériel qui y est déposé, transparait également dans ces images. Quatre cent-une stations présentent des scènes de ce style. Les thématiques sont très variées, avec une prédominance de la chasse et des représentations isolées d’animaux, mais aussi des scènes de navigation, de guerre et de combat, de pastoralisme, ou de danses acrobatiques.
Les gravures du Groupe-C n’apparaissent qu’à l’extrémité Est de la concession. Le Groupe-C désigne une culture nubienne de la fin du IIIe millénaire et de la première moitié du IIe (2400 à 1500 av. J.-C) dont on trouve des attestations en Egypte jusqu'au site de Hiérakonpolis, au sud de Louxor. Ce sont des éleveurs semi-nomades qui conduisaient dans les zones aujourd’hui désertiques de vastes troupeaux. Ils ont pu produire des images rupestres tant peintes que gravées (SUKOVA 2011). Pour l’instant, seules deux scènes peuvent être attribuées à ce groupe dans le wadi Abu Subeira, mais il est possible que d’autres soit à découvrir en poursuivant vers l’Est au-delà la concession.
- Les gravures pharaoniques sont principalement des inscriptions hiéroglyphiques. En effet, des expéditions militaires commanditées par le souverain traversaient le désert Oriental pour gagner les ports de la mer Rouge. Elles marquaient régulièrement leur présence par des inscriptions, qui peuvent être votives et qu’elles accompagnent souvent de représentations de bateaux ou des divinités sous la protection desquelles elles se placent. Les noms et titres des membres de l’expédition peuvent aussi être mentionnés. La principale artère utilisée pour traverser le désert Oriental se situe à hauteur de la capitale du Nouvel Empire, Thèbes. Il s’agit du wadi Hammamat (GOYON 1957). Le wadi Abu Subeira a pu être également emprunté, pour des convois mandatés depuis Assouan. On a retrouvé 11 stations concernées avec seulement trois très courtes inscriptions hiéroglyphiques datées du Nouvel Empire d’après les titres employés.
Les gravures de l’époque médiévale correspondent à la période byzantine et à une islamisation tardive et progressive de provinces aussi reculées qu’Assouan. On a également retrouvé un vase peint de cette période (GRAFF & MARCHAND 2016). Les gravures de cette période sont incisées et piquetées de maniière superficielle et ont une patine très claire. le motif caractéristique de cette période est le dromadaire, soit isolé, soit portant un cavalier. Des chevaux apparaissent également, avec leurs cavaliers. Certaines scènes montrent visiblement des caravanes, d’autres des affrontement de cavaleries. On peut trouver également des bovins et des autruches. Quelques croix centrées coptes sont représentées. Il est fréquent que ces gravures se superposent à d’autres scènes plus anciennes qu’elles viennent compléter ou recouvrir. On connaît cent cinquante trois stations possédant des gravures attribuées à cette période.
Les gravures contemporaines sont présentent sur cent quatre stations. Elles correspondent à l’occupation des lieux par des communautés bédouines appartenant au groupe Beija, représentées dans cette partie du désert Oriental, jusqu’à la mer Rouge, par les Ababda. Le village situé dans l’embouchure du wadi est un village Ababda (ABDEL-QADR, WENDRICH, KOSC & BARNARD 2012.). Les guides et prospecteurs qui travaillent aussi bien avec l’équipe française qu‘égyptienne sont des Ababda. Les ‘Abāda sont de tradition éleveurs nomades de dromadaires, et une partie d’entre eux (surtout dans la zone qui nous concerne) s’est sédentarisée depuis la présidence de Nasser. Le wadi fait toujours partie de leur territoire et l’on retrouve de nombreux vestiges d’occupations temporaires des lieux liés au pastoralisme, comme des abris nocturnes pour les jeunes animaux, des aménagements pour la suspension de réserves d’eau, des céramiques non tournées abandonnées et quelques tombes dispersées. Les gravures de cette période sont souvent des inscriptions, en particulier des anthroponymes, des marques semblables à celles de propriété individuelle ou de tribu inscrites au fer sur les dromadaires, des podomorphes, des représentations de caravanes.
Références bibliographiques citées :
• ABDEL-QADR M., WENDRICH W.Z., KOSC Z. & BARNARD H. 2012. Giving a Voice to the Ababda. (In :) BARNARD H. & DUISTERMAAT K. (eds) : The History of the Peoples of the Eastern Desert. Monographs 73. University of California. Los Angeles : 399-414.
• GOYON G. 1957. Nouvelles inscriptions rupestres du Wadi Hammamat. Paris
• GRAFF G. 2013. Construire l’image - Ordonner le réel. Les vases peints du IVème millénaire en Egypte. Editions Errance. Actes Sud. 150pp.
• GRAFF G. & MARCHAND S. 2016. Note sur la découverte isolée d'un vase décoré de Nubie d’époque chrétienne tardive dans le ouadi Abou Subeira, Assouan, désert oriental. Bulletin de Correspondance de la Céramique Egyptienne, 26: 297-302.
• HUYGE D. 1998. Hilltops, silts, and petroglyphs : the fish hunters of El-Hosh (Upper Egypt). Bulletin des Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles 69 : 97-114.
• HUYGE D. 2009. Late Palaeolithic and Epipalaeolithic Rock Art in Egypt : Qurta and el-Hosh. Archéo-Nil 19 : 109-120.
• SUKOVA L. 2011. The Rock paintings of Lower Nubia (Czechoslovak Concession). Prague, Charles University in Prague, Faculty of Arts, 127pp.